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Mali Twist

© Malik Sidibé – Nuit de Noël – (1963)

Exposition des photographies de Malick Sidibé – Fondation Cartier pour l’art contemporain. Commissaire d’exposition André Magnin, en collaboration avec Brigitte Ollier.

De la joie de vivre dans le Mali post-colonial, il s’est fait le porte-parole. Malik Sidibé est né en 1935 à Soloba, au Sud du Mali, dans une famille paysanne d’origine peule. Il s’en est allé le 14 avril 2016, à Bamako, et repose au village. Un ancien s’éteint c’est une bibliothèque qui brûle dit le proverbe. Si la bibliothèque se consume, sa photothèque nous réchauffe, elle a valeur de témoignage sociologique et porte la trace des années 60, dans son pays, celles des années de liberté, juste après l’Indépendance.

Formé au dessin et à la bijouterie à l’école des artisans soudanais – les fondations de l’Institut national des arts de Bamako – il est vite remarqué pour ses talents de dessinateur. Il entre, en 1955 au studio de photographies de celui qu’on surnomme Gégé la Pellicule, Gérard Guillat-Guignard un français gérant du studio Photo-Service avec qui il apprend la photographie. Malick Sidibé, qu’on nommera plus tard L’œil de Bamako, ouvre son premier studio en 1958 puis, en 1962 le studio du quartier Bagadadji où il restera longtemps. Il se spécialise d’abord dans la photographie de reportage, notamment en allant dans les soirées des jeunes de la capitale, puis, à partir des années 70, se tourne davantage vers les portraits, réalisés en studio. Les Rencontres africaines de la photographie de Bamako en 1994 participent de sa reconnaissance internationale, ainsi que la première rétrospective de son travail, présenté hors d’Afrique, à l’initiative de la Fondation Cartier, en 1995. Les Rencontres de la photographie d’Arles honorent sa mémoire dans l’édition 2016 où l’Afrique est sur le devant de la scène, avec l’exposition Swinging Bamako. La fabuleuse histoire des Maravillas du Mali, du nom d’un des groupes de musique africaine du pays. Il a reçu de nombreux Prix de la Photographie dont celui de la Fondation Hasselblad, en 2003, pour la première fois attribué à un photographe africain ; un Lion d’or d’honneur de la Biennale d’art contemporain de Venise, en 2007, pour l’ensemble de sa carrière ; l’Infinity Award for Lifetime Achievement du Centre international de la Photographie de New-York, en 2008 ; il fut nommé Officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres, en 2011. Une belle carrière d’observation et de modestie, qualités dont il ne se départira jamais.

Avec Mali Twist c’est un parcours joyeux de plus de deux cent cinquante photographies qui est proposé par la Fondation Cartier dont une grande partie est consacrée aux soirées dansantes de Bamako. Twist, rock’n’ roll et musiques afro-cubaines sur fond de 45 tours vinyle et de leurs pochettes souvent dessinées par le photographe accompagnent le parcours, ainsi qu’en sourdine la playlist originale des standards chaloupés, concoctée par Manthis Diawara et André Magnin. Mali Twist, le titre de l’exposition, fait référence à la chanson éponyme de Boubacar Traoré, chanteur et guitariste malien, sortie en 1963. « J’étais le seul jeune reporter de Bamako à faire des photos dans les surprises-parties. Les jeunes de Bamako se regroupaient en clubs. Ils empruntaient leurs noms à leurs idoles – Les Spotnicks, Les Chats sauvages, Les Beatles, Les Chaussettes noires – ou au journal Cinémonde qui venait de France. Souvent dans la rue ils s’appelaient : Hé ! Beatles !… On avait beaucoup d’occasions de s’amuser. » Ainsi, Regardez-moi (1962), photo de la Collection Fondation Cartier une grande joie de vivre pour ce twisteur faisant une figure acrobatique sous les yeux de son amie. Nuit de Noël (1963) un splendide pas swingué, esquissé entre un frère et sa petite sœur à qui il apprend à danser, tous deux concentrés et de blanc vêtus, une image devenue emblématique dans l’histoire de la photographie africaine, « C’est une photo que j’adore » disait Malick Sidibé. Dansez le twist (1965) où l’on rase le sol dans les figures et d’où émane une franche gaîté. Fans de James Brown (1965) où deux jeunes filles arborent la pochette du vinyle James Brown, musique sur laquelle visiblement elles dansent. « Les jeunes quand ils dansent, sont captivés par la musique. Dans cette ambiance on ne faisait plus attention à moi. J’en profitais pour prendre les positions qui me plaisaient » dit Sidibé. « Je faisais des tirages à mon retour des soirées, parfois jusqu’à six heures du matin. Je les regroupais par club, puis je les numérotais et les collais sur des chemises cartonnées. Je les affichais le lundi ou le mardi devant le studio. Tous ceux qui avaient participé aux soirées étaient là et se marraient en se voyant sur les photos… Seuls les garçons achetaient les photos et les offraient en souvenir aux filles… »

Les nombreux tirages d’époque développés de 1962 à 1978 dans son modeste atelier forment un vaste ensemble d’informations sur la vie adolescente, la danse et l’effervescence de la vie à Bamako. Il y en a beaucoup, petits formats aux bords dentelés rassemblés sur de grandes feuilles, qui gardent l’empreinte de ces moments détendus, entre jeunes. « Certains commandaient des tirages sans les acheter, le plus important était que leurs photos soient vues. Commandées par de jeunes bamakois sapés à la dernière mode, ces tirages sont la mémoire des moments de joie et de plaisir où ces jeunes découvraient leur image magnifiée par leur ami Malick Sidibé » dit le photographe. Autre série présentée, les photos de cette jeunesse rieuse au bord du fleuve Niger où ils se retiraient du monde pour écouter leurs musiques favorites, se baignaient, pique-niquaient et s’amusaient devant l’objectif de Sidibé qui les accompagnait et qu’ils surnommaient Malicki. Cela donne Pique-nique à la chaussée (1972), A la plage (1974), Combat des amis avec pierres au bord du Niger (1976), une série qui témoigne de leurs jeux et passe-temps. « Le dimanche, pendant les grosses chaleurs, on se retrouvait au bord du fleuve Niger, à la Chaussée, au lieu-dit du Rocher aux Aigrettes. Les garçons apportaient des électrophones à piles et des disques, on faisait du thé, on se baignait, on dansait en plein air. Je faisais beaucoup de photos à l’improviste, ça me plaisait beaucoup » commente Sidibé.

Autre thème, autre partie de l’exposition, les portraits que Sidibé réalisait dans son studio, vite devenu incontournable, où défilaient toutes sortes de modèles qu’il photographiait d’un œil toujours complice. Les jeunes de milieux populaires – seuls ou à plusieurs, habillés dernier cri pantalons patte d’éléphant la mode du moment, chemises bigarrées, chapeaux bien enfoncés, regards droits dans les yeux du viseur – venaient prendre la pose devant un rideau à rayures, parfois sur un fond neutre, souriants ou intimidés, assis ou en pieds. Ainsi Un yéyé en position (1963) chemise à fleurs et lunettes noires ; Nous deux avec guitare (1968) : vêtements kitsch pantalons zébrés, comme le tissu sur lequel ils posent, lunettes noires, une fleur à la main ; Sans titre (1973) portrait en pied d’une jeune femme, pantalon blanc patte d’éléphant, chemisette à manches courtes et chapeau qui auréole le visage, formes et reliefs bien en vue ; Un jeune gentleman (1978) pied posé sur un tabouret, le geste du penseur, cravate fleurie, tissu décoré au sol ; Un gentleman en position (1980) photographié en pied, costume impeccable pantalon patte d’éléph, gilet, cravate et grand béret. « En studio, j’aimais le travail de composition. Le rapport du photographe avec le sujet s’établit avec le toucher. Il fallait arranger la personne, trouver le bon profil, donner une lumière sur le visage pour le modeler, trouver la lumière qui embellit le corps. J’employais aussi du maquillage, je donnais des positions et des attitudes qui convenaient bien à la personne. J’avais mes tactiques. Ce travail que j’aimais trop m’a fait solitaire. Je ne pouvais plus le quitter ! » commente Malick Sidibé.

Le photographe n’aimait que le noir et blanc et « arrangeait un peu la réalité pour mieux dire la vérité » comme il le justifiait si bien. Au rez-de-chaussée de la Fondation Cartier, son studio est reconstitué, avec un parterre à damier noir et blanc où les visiteurs peuvent prendre la pose. Assis ou en pied, des accessoires mis à leur disposition, ils sont invités à se prendre en photo avec leur appareil ou leur Smartphone et peuvent ensuite partager leurs photos sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #StudioMalick. Par ailleurs, deux artistes invités ont reçu commande de la Fondation : l’artiste ghanéen Paa Joe qui a réalisé la sculpture en bois géante d’un Rolleiflex, appareil qu’aimait utiliser Sidibé et une toile de Jean-Paul Mika, artiste de République Démocratique du Congo, Souvenir ya Bonane Tango ya Molato. Le superbe film tourné par Cosima Spender en 2008, Dolce Vita Africana est présenté en fin de parcours et permet de suivre le photographe au quotidien, à Bamako et Soloba.

Avec cet ensemble exceptionnel, l’œuvre de Malick Sidibé témoigne de l’insouciance et de la vitalité de la jeunesse bamakoise des années 60 à 80. C’est la trace d’une époque libre et captivante au Mali, Sidibé y a fait un magnifique travail d’artiste et de sociologue, renvoyant une image joyeuse et malicieuse du pays. La Fondation Cartier s’en est emparée, l’ensemble est magnifiquement agencé par les deux commissaires Brigitte Ollier et André Magnin, notamment l’immense sous-sol. L’exposition se prolonge par des activités programmées lors des Soirées Nomades – concerts, bals populaires, marionnettes traditionnelles, studio photo ambulant – A ne pas manquer.

Brigitte Rémer, le 31 octobre 2017

Du 20 octobre 2017 au 25 février 2018 – Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014. Paris – Métro Denfert-Rochereau – www.fondationcartier.com – Tél. : 01 42 18 56 67/50 – Le catalogue, en version française et anglaise, est publié par les éditions Xavier Barral, avec des Textes de André Magnin, Brigitte Ollier, Manthia Diawara, Robert Storr et Malick Sidibé.